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Photo du rédacteurAnne-Sophie Ketterer

Et si on questionnait notre rapport avec le vivant ?

Depuis quelques mois, je prends petit à petit conscience qu’un des nœuds essentiels de nos problématiques liées à l’environnement se situe ici, dans notre rapport avec le vivant. Pour questionner notre relation au vivant, j’ai lu des philosophes comme Baptiste Morizot et je vous en parlerai très prochainement dans un nouvel article, mais pour commencer à aborder les choses de façon concrète, j’ai choisi d’échanger avec Etienne Farand, Chef de secteur du Val d’Azun pour le Parc National des Pyrénées.

Aster des Pyrénées / © E .Farand – Parc national des Pyrénées


Je rencontre Etienne au Kairn, bistrot librairie bien connu du Val d’Azun et nous commençons par évoquer son parcours et son travail au Parc National des Pyrénées.


Etienne, comment es-tu devenu Garde du Parc National des Pyrénées ?


Quand j’étais tout gamin, jusque l’âge de 5 ou 6 ans, j’ai vécu dans un camp militaire dans l’Ain. On n’y pense pas forcément, mais dans un camp militaire il y a de grandes zones de nature ensauvagée : ce n’est ni un terrain agricole, ni une forêt exploitée. C’était notre terrain de jeu. De cette période, j’ai des souvenirs ancrés dans cette sensation de nature sauvage.

Plus tard j’ai fait des études de maths physiques, puis j’ai bifurqué vers la biologie. Je dois beaucoup à un professeur qui m’a passionné. J’aimais beaucoup l’étude de la génétique, mais pas en laboratoire. J’ai donc étudié la biologie des organismes et des populations.


J’ai découvert l’univers des Parcs Nationaux dans les Ecrins en 1992. J’y ai effectué mon service national comme objecteur de conscience - pour éviter le service militaire - sur un projet de création d’une réserve intégrale. C’était un site difficile d’accès. J’étais plongé encore une fois dans une vie très sauvage. A la suite de cette expérience, j’ai repris mes études en collaboration avec le parc national des Ecrins pour m’orienter vers ce monde là. Je passais 6 mois par an en montagne sur le terrain, et 6 mois en laboratoire pour ma thèse. Ce rythme me convenait, mais petit à petit dans la recherche, le temps en labo augmente et au final j’avais du mal à m’y retrouver.


J’ai passé plusieurs fois le concours de garde pour les Parc Nationaux et contre toute attente, j’ai fini par le décrocher et j’ai été nommé dans les Pyrénées, que je ne connaissais pas du tout ! D'abord du côté de Saint-Lary puis dans le Val d’Azun. J’aime beaucoup ces montagnes très différentes des Alpes. L’activité humaine y est moins industrielle, et c’est très riche en espèces ! Mon premier étonnement, c’était de voir le nombre de rapaces dans les airs comparé aux Alpes.


En quoi consiste ton métier ?


Dans le métier de garde, il y a 3 piliers historiques : protéger, connaître et faire connaître. Protéger passe par un volet réglementaire. Je suis chargé de veiller au respect des règles de protection de la faune et de la flore qui s’appliquent à la zone protégée et en dehors. Il y a des infractions limitées, comme par exemple aller dans la zone protégée avec son chien, ce qui peut donner lieu à une contravention. Par contre les atteintes aux espèces protégées - comme tirer sur un vautour ou une mésange – sont plus sévèrement punies, ce sont des délits. Mais la plupart du temps, je fais de la prévention, j’informe les citoyens avant qu’il y ait une infraction.


Dans le parc nous avons beaucoup d’espèces protégées, on se focalise souvent sur les “gros animaux” comme l’ours, les rapaces etc mais il ne faut pas oublier que de plus petites espèces, moins emblématiques, sont tout autant en danger. Quand on parle d’effondrement de la biodiversité, on pense aux mammifères, mais la perte la plus importante et de loin, ce sont les insectes, les petits oiseaux des campagnes etc…


Sur le pilier “connaître” la biodiversité, je participe à des inventaires d’animaux et de plantes, parfois avec l’aide de spécialistes. On peut faire aussi des suivis : pointer un sujet et le suivre dans le temps. On l’a fait pour l’ours, le bouquetin, le gypaète barbu, la très rare grenouille des Pyrénées, etc. On suit en général des Plans Nationaux d’Actions qui nous guident dans les priorités à mettre en place sur notre secteur en termes de suivis ou de comptages.


Et enfin “faire connaître” c’est par exemple ce que je fais en ce moment avec toi, c’est informer, communiquer, rencontrer les gens sur les chemins du Parc et discuter avec eux, ou animer des séances spécifiques de médiation, d’information.


Une part cachée de mon travail c’est tout ce qui concerne la collecte de données dans des bases nationales ! On a fait de gros progrès maintenant sur le partage des connaissances sur la nature ! Même si, au final, du vivant on connaît très peu de choses !


Comme tous les métiers connectés à la nature, notre travail est saisonnier par rapport à ce que l’on piste : il y a la saison du gypaète, du grand tétras, des perdrix, des gîtes d'hivernage ou encore le début de la floraison, etc. On est rythmé par le vivant et la météo, ce qui est parfois peu compatible avec l'administratif et les réunions !


E.Farand identifiant des papillons / © L. Nédélec – Parc national des Pyrénées


Quel regard poses-tu sur notre relation à la Nature ou au vivant ?


Quand on pense à la Nature, aux animaux ou aux plantes, on instaure souvent une relation hiérarchique. Héritage des philosophes des Lumières, nous, humains, sommes en dehors de la Nature. C’est l’opposition Nature / Culture. En amont de ça, il y a toute une tradition culturelle très ancienne du monde Occidental qui consiste à penser la Nature à notre service. Pourtant nous sommes des animaux et nous faisons partie du monde vivant.


Se décentrer de notre vision d’Humain est très difficile ! Par exemple, c’est compliqué pour nous d’intégrer que d’autres êtres vivants ont des perceptions ou des rythmes de vie complètement différents du nôtre. Un papillon ne vit que 2 mois en moyenne, un arbre plusieurs siècles, une musaraigne a des cycles de 4h, c’est comme si elle vivait plusieurs journées en une. Et quand je dis ça, je te donne une image anthropo-centrée pour que ce soit plus simple à comprendre, mais en réalité, les musaraignes ne vivent pas des journées comme nous l’entendons ! Et tout ça cohabite dans un écosystème : l'arbre, le papillon, la musaraigne. Et nous.


On a spontanément l’impression que notre propre perception de l’environnement est la norme. Mais par exemple, les oiseaux voient plus de couleurs que nous ! Ils descendent des dinosaures qui étaient des espèces diurnes et donc mieux adaptées à voir les nuances de couleurs en journée, alors que nous descendons de petits animaux dont l’activité était essentiellement nocturne.


D’un point de vue biologique, nous ne sommes clairement pas l’espèce la plus adaptée à notre environnement. S’il devait y avoir des vainqueurs de l’évolution, ce serait très certainement les bactéries ! Elles sont partout, même à l’intérieur de nous !


Un autre gros malentendu que j’identifie quand je discute avec des promeneurs c’est le rapport au “monde sauvage”. Notre représentation du monde sauvage est empreint de peurs qui remontent sans doute à des temps très anciens… Pour beaucoup de gens, un animal qui n’a pas peur de nous n’est pas un animal sauvage. C’est ce que j’entends parfois quand des gens ont croisé des Isards qui ne s’enfuyaient pas à leur approche. Mais des isards qui ne nous identifient pas comme des prédateurs n’ont pas peur de nous, et ils peuvent même se montrer curieux. Pour autant ils restent sauvages, car leur comportement ne se plie pas à nos quatre volontés. En réalité, lorsque nos comportements dans la nature sont réguliers, comme par exemple toujours emprunter le même chemin, les animaux sauvages ne se sentent pas en danger. Pour autant, si l’on fait quelque chose d'inhabituel, comme quitter le sentier, ils vont s’en inquiéter. On dit souvent que nous devons adapter nos activités pour respecter le vivant, mais en réalité, la plupart du temps, ce sont les animaux qui s’adaptent à nous et nos comportements !


En fait, je pense qu’il nous manque un nouveau récit qui raconterait un nouveau rapport au monde vivant! Quasiment tous nos mythes fondateurs reposent sur un rapport hiérarchique de domination avec le vivant. Dans le monde chamanique on trouve des récits intéressants où la place de l’Homme est différente, au même niveau que le reste du vivant, mais nos modes de vie sont tellement éloignés de ces cultures qu’il faudrait trouver autre chose, plus adaptée à notre société.


En tant que garde, quels sont les moments qui t’ont le plus émerveillé ?


Il y a bien sûr la première fois où j’ai trouvé une piste d’ours. Et puis certaines observations d’animaux où j’ai eu l’impression de rentrer dans l’intimité de leur vie. Et quelques observations qui ont plus ressemblé à une rencontre avec un animal sauvage. Et il y a aussi les fois où je me suis fait carrément “souffler” par un paysage ! Certains endroits sont vraiment puissants.


Vaches (limousine) en vallée d’Arrens. / E. Farand – Parc national des Pyrénées


Quels conseils nous donnerais-tu pour se reconnecter au vivant ?


Je trouve que dès que tu es seul en montagne, tu peux vivre des expériences assez fortes. Dans le Parc, on peut amener des gens à voir des choses spectaculaires. La rencontre avec un animal sauvage, c’est souvent très fort. On peut aussi vivre une expérience forte dans une forêt ! Mais une vraie forêt, pas un champ d’arbres ! On croit souvent qu’il faut voir quelque chose d’époustouflant pour avoir un déclic, mais on peut aussi connaître ça dans un environnement beaucoup plus proche de nous, plus familier. Il suffit de trouver un endroit calme, où le bruit de la vie humaine n’est pas trop agressif - éviter les zones périurbaines. Et le mieux, c’est d’y aller seul. Plus on est nombreux, moins on a de chance de voir de la vie sauvage !


Ado, j’étais fasciné par les mouettes. Ce n’est pas un animal qu’on qualifierait d’extraordinaire, pourtant les mouettes sont intelligentes et indépendantes. Elles se débrouillent pour vivre sur la côte avec nous - parfois à nos dépends - mais elles passent aussi beaucoup de temps en mer, loin de nous, et savent affronter les grandes tempêtes. Observer leurs comportements, imaginer la sensation que procure le vol, ça m’a appris à me décentrer et à considérer le vivant autrement.

Avec mes gamins aussi, on avait instauré une habitude : tous les matins, on observait le ciel pour se reconnecter. Il faudrait qu’on s’y remette, tiens !


 

Je remercie chaleureusement Eloïse, Etienne, Caroline et Christophe du Parc National des Pyrénées qui ont permis l'écriture et l'illustration de cet article.


Pour suivre les actualités du Parc National des Pyrénées c'est par ICI


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