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Photo du rédacteurAnne-Sophie Ketterer

Julie conte la Montagne

Dernière mise à jour : 12 janv. 2022


Julie Auffray porte le projet La Montagne Conte, une initiative visant à diffuser des récits montagnards différents, positifs et inspirants. J'ai eu la chance de l’interviewer à la sortie du premier épisode de la série audio (“podcast”) La Montagne Conte.



Julie, comment est né ce projet La Montagne Conte ?

Avant de me lancer dans ce projet, je travaillais dans le secteur de l'Économie Sociale et Solidaire, au sein de l’association Ashoka : c’est un réseau international qui accompagne des “innovateurs sociaux”, c’est-à-dire des porteurs et porteuses de projets dont l’objectif est de répondre à une problématique sociale ou environnementale, avec une approche nouvelle. Après quelques années, j’ai eu envie de découvrir la façon dont sont adressés les enjeux sociaux et environnementaux avec une approche plus territoriale. J’avais notamment envie d’explorer ce qui est mis en œuvre dans les territoires de montagne, qui m’attirent particulièrement.


J’ai déjà vécu à proximité des montagnes mais je n’y ai jamais habité. La montagne, je la côtoyais alors surtout en tant que randonneuse, et j’avais le sentiment qu'au-delà de cette expérience touristique, il y avait beaucoup d’autres aspects de la montagne à explorer ! Je me demandais par exemple, si les initiatives sociales et/ou environnementales en montagne avaient des spécificités. J’ai commencé à lire des articles de recherche sur le sujet. Les caractéristiques de la ruralité, l’impact des dérèglements climatiques en altitude, les contraintes liées au relief… forment en effet un terreau particulier pour penser les questions de transition écologique et sociale !


Par ailleurs, j’ai aussi constaté que lorsque j’entendais parler de “la montagne”, les récits tournaient souvent autour de la performance sportive (récits d’alpinistes, trailers, etc) ou de l’avenir des stations de ski. On entend encore trop peu les récits de celles et ceux qui habitent la montagne, y développent des initiatives et “font” le territoire au quotidien. C’est pourtant essentiel pour réussir à se projeter dans un futur qui nous donne envie !


J’ai alors eu envie de contribuer à la diffusion d’autres récits montagnards, positifs et inspirants. Au-delà d’effectuer des recherches en ligne, j’ai pensé que le meilleur moyen pour véritablement comprendre les enjeux, la vie des territoires de montagne, serait d’aller à la rencontre de celles et ceux qui la vivent au quotidien. L’idée m’est venue de faire un voyage à l’image d’un rapport à la montagne qui laisse place à la rencontre, une immersion sur un temps long ! J’ai donc décidé de traverser les Pyrénées à pied, de rencontre en rencontre, d’Hendaye à Banyuls-sur-Mer, principalement par le GR10. Cela a duré 75 jours.


Avant de partir, je me suis demandé comment partager toutes ces rencontres : j’ai choisi de le faire par le son ! C’est un médium qui me parle particulièrement car il laisse une grande place à l’imaginaire, l’esprit n’est pas saturé par les images, chacun peut alors former les siennes.



Quels habitants de la montagne as-tu rencontrés ?

Je suis allée à la rencontre de montagnard-e-s qui s’impliquent pour faire vivre leur territoire et qui ont une façon de pratiquer leur activité professionnelle qui sort de l’ordinaire. J’ai ainsi rencontré des personnes diverses, des porteur-se-s de projets collectifs comme le Tiers- Lieu "La Soulane" à Jézeau mais aussi la créatrice d’un bistrot-librairie "Le Kairn" à Arras en Lavedan, un accompagnateur en montagne et conteur en vallée d'Ossau, des petits paysans, des maires, des bergères, des artistes, … Leurs activités étaient souvent multiples ; ils avaient des réflexions à partager sur la façon dont ils vivent ou travaillent en montagne.


Karine Depeyre, créatrice du Bistrot Librairie Le Kairn à Arras en Lavedan



Ton regard, ton imaginaire sur la vie en montagne a-t-il changé ?

Je dirais que j’ai précisé et enrichi mon imaginaire de la vie en montagne en milieu rural. J’ai par exemple pris conscience de la place de l’effort physique dans certains métiers exercés en montagne, plus présent avec le relief et l’altitude. Certaines conversations m’ont aussi aidée à aller au-delà d’une lecture trop simpliste de la réalité. Je me souviens par exemple de ce paysan qui m’expliquait que venir s’installer en montagne pour “vivre au vert” et adopter un mode de vie plus en accord avec ses convictions, ce n’était pas une mauvaise chose en soi, mais que dans le cas où les nouveaux arrivants viennent occuper des terres cultivables avec des exigences telles que “manger 100% bio et local” sans participer à l’effort productif alimentaire, cela pouvait faire peser une pression sur les quelques petits paysans restants dans la vallée qui vont devoir produire plus… Il ne s’agit surtout pas là de conclure qu’il ne faut pas venir s’installer en zone de montagne, mais cela donne à réfléchir aux impacts que cette installation peut avoir, à l’échelle de la vallée. La question de l’utilisation du foncier est très complexe en montagne. Celle de l’alimentation en circuit court aussi.


Et puis, j’ai aussi demandé aux personnes rencontrées comment ils rêvaient et imaginaient la “montagne de demain”. On m’a répondu à plusieurs reprises : une montagne “plus collective” et une montagne “vivante” pour les êtres humains et non humains. J’ai ressenti cette aspiration à travailler davantage ensemble, à construire des solutions collectivement, comme quelque chose de vraiment important pour dessiner le futur de ces territoires, pour qu’ils restent habités et vivants. Je crois qu’il y a un besoin fort de créer, ou recréer, des liens entre les habitant.e.s au sein des vallées. Ce n’est pas anodin de voir que des lieux qui favorisent les rencontres émergent dans différentes vallées, comme le tiers-lieu que je citais tout à l’heure ! Il y a une réelle nécessité à appréhender collectivement la transition écologique et sociale, avec tou-te-s les habitant-e-s de la montagne, notamment celles et ceux qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer.



Et sur l’aspect sportif, comment as-tu vécu cette Traversée ?

Je suis plutôt sportive et l’aspect physique de la traversée des Pyrénées n’était pas ce qui m’effrayait le plus ! Mais au bout de 4 jours de marche, mon corps m’a “rattrapée” : j’ai eu une grosse douleur au mollet qui rendait la marche difficile. Je n'avais pas l’habitude de porter un sac de 12 kg sur le dos… J’ai eu peur de devoir mettre un terme à la traversée à cause de cette douleur, mais j’ai pris du repos et cela s’est bien passé ensuite sur le plan physique. Néanmoins il y a beaucoup de dénivelé sur le tracé du GR10, les journées sont intenses !


J’avais déjà marché seule quelques jours entre Mont-de-Marsan et Saint-Jean-Pied-de-Port, mais jamais aussi longtemps. A l’époque, ces quelques jours de marche m’avaient fait du bien au niveau spirituel. Sur ce plan, la traversée des Pyrénées fut une expérience encore plus riche car entrecoupée de rencontres que je pouvais “digérer” en marchant !


La marche itinérante pousse aussi à un retour à l’essentiel. Tu prends conscience que tu peux tout à fait vivre avec le contenu d’un sac de 12kg seulement. Ce détachement du superflu libère l’esprit. Et puis, on ne pense pas de la même manière en marchant que lorsqu’on est assis et immobile… Le mouvement nous fait réfléchir différemment. Cette traversée des Pyrénées à pied m’a beaucoup marquée, ce fut une expérience profonde.


Que devient le projet ?

A ce jour, j’ai créé et diffusé en ligne deux épisodes sonores et je travaille sur la suite de la série audio “La Montagne Conte” que l’on peut retrouver avec d’autres ressources sur le site www.lamontagneconte.fr et sur l’application Spotify. Dans ces épisodes audio, je mêle les voix des montagnard-e-s rencontré-e-s et mes questionnements personnels, tout en essayant de recréer une atmosphère sensible, poétique, notamment grâce aux sons d’ambiance des lieux et à la musique. Quand le résultat de ce travail de création sonore résonne chez les auditeur-rice-s, c’est un bonheur ! Cela me donne de l’énergie pour continuer à travailler sur la suite, et même imaginer d’autres formats pour partager ces rencontres, cette expérience.


 

Pour écouter la série audio "La Montagne Conte", c'est par ICI

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